Le rétablissement du délit de séjour irrégulier : un débat relancé à l’Assemblée nationale
Le débat autour du rétablissement du délit de séjour irrégulier retrouve une place prépondérante à l’Assemblée nationale.
Cette initiative est clairement portée par le Rassemblement national (RN), qui la considère comme un instrument indispensable dans la lutte contre l’immigration irrégulière.
À cet égard, Sylvie Josserand, députée RN du Gard et auteure de la proposition de loi visant à réintroduire cette infraction, déclarait : « Cela fait plus de dix ans que la France s’est privée de cet outil nécessaire pour combattre l’immigration irrégulière ».1
Après avoir essuyé un premier revers en commission des lois la semaine précédente, le RN a choisi de tirer parti de sa niche parlementaire pour inscrire son texte à l’ordre du jour du mercredi 30 octobre.
Il convient de rappeler qu’une niche parlementaire offre à un groupe d’opposition la possibilité, une fois par mois, de fixer l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et d’y présenter ses propres projets de loi.
Parallèlement, le gouvernement, affichant sa volonté de renforcer la législation migratoire, s’est également déclaré favorable au rétablissement de ce délit, abrogé en 2012.
Une telle mesure permettrait de sanctionner pénalement les étrangers en situation irrégulière sur le territoire français. Portée par une fraction de la droite parlementaire, cette initiative s’inscrit dans un contexte plus large de réformes migratoires, notamment au travers du projet visant à restreindre l’accès aux prestations sociales pour les ressortissants étrangers.
Le texte prévoit que tout étranger majeur séjournant sur le territoire français au-delà de la durée autorisée par son visa soit passible d’une amende de 3 750 euros, assortie d’une interdiction de séjour pouvant s’étendre jusqu’à trois ans.
Il convient de rappeler que le délit de séjour irrégulier avait été abrogé en 2012, sa conformité au droit européen ayant été remise en question : la directive « retour » de l’Union européenne impose de laisser à la personne concernée un délai raisonnable pour quitter volontairement le territoire.
Enfin, le 30 octobre 2025, les députés ont rejeté l’article unique de la proposition de loi du RN visant à rétablir le délit de séjour irrégulier, en adoptant plusieurs amendements de suppression déposés par les groupes de gauche et le parti présidentiel.
Privé de toute portée concrète, le texte a été retiré par le RN, qui a préféré se concentrer sur l’examen des autres propositions inscrites à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire.
Après avoir obtenu une victoire symbolique avec le vote d’une proposition de résolution dénonçant les accords franco-algériens de 1968, les députés du Rassemblement national ont donc échoué à faire adopter le rétablissement du délit de séjour irrégulier, qui, malgré son abolition sous l’influence du droit européen (I), refait régulièrement surface dans le débat parlementaire (II) et suscite de nombreuses critiques, notamment en raison du risque de criminalisation des personnes en situation irrégulière (III).
I. Une infraction autrefois supprimée sous l’influence du droit européen
Le délit de séjour irrégulier, autrefois prévu à l’article L. 621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dans son ancienne rédaction, a été abrogé par la loi du 31 décembre 2012.
Cette infraction, qui permettait de sanctionner d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement la présence d’un étranger en situation irrégulière sur le territoire national, traduisait la volonté des pouvoirs publics de renforcer les dispositifs de contrôle et d’autorité en matière
d’immigration.
Cette suppression est intervenue à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)2, qui a estimé qu’une peine privative de liberté ne pouvait être appliquée pour un simple séjour irrégulier, au nom du respect des droits fondamentaux, et que le législateur pouvait se contenter de remplacer la peine d’emprisonnement par une amende, afin de se conformer à la jurisprudence européenne et de respecter la directive « retour » de 2008 émise par le Parlement européen.
Dans le prolongement de cette jurisprudence, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était désormais plus possible de placer en garde à vue une personne uniquement en raison de sa situation administrative irrégulière. Le délit de séjour irrégulier, devenu de facto inapplicable, a donc conduit le gouvernement à proposer une réforme législative entérinant son abrogation définitive.
II. Un délit régulièrement remis à l’ordre du jour
Malgré son abrogation en 2012, le délit de séjour irrégulier reste au coeur des débats parlementaires.
Sylvie Josserand, députée du Rassemblement national et rapporteur de la proposition de loi visant à le rétablir, a vivement critiqué cette suppression intervenue au début du quinquennat de François Hollande.
Selon elle, « le législateur, qui n'était nullement dans l'obligation de supprimer le délit de séjour irrégulier, aurait pu simplement remplacer la peine d’emprisonnement par une amende tout en maintenant l’infraction ».3
Le délit a été à plusieurs reprises réintroduit dans le débat législatif.
Bien qu’absent du projet de loi Immigration initial, il a été proposé par les sénateurs, puis supprimé par les députés en commission des lois, avant d’être finalement réintégré par la commission mixte paritaire avec l’avis favorable du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Dans cette version, le délit ne prévoyait plus de peine de prison, mais uniquement une amende de 3 750 euros.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, la considérant comme un cavalier législatif, c’est-à-dire une mesure insérée dans un texte sans lien direct avec son objet principal.
Par la suite, une proposition de loi déposée le 13 février 2024 par des députés Les Républicains visait à rétablir le délit de séjour irrégulier.
Pour se conformer au droit européen, les auteurs du texte proposaient de remplacer la peine d’emprisonnement par « une peine d’amende et une peine complémentaire d’interdiction du territoire ». Cette initiative n’a cependant jamais été examinée par le Parlement.
En 2025, la proposition de loi du Rassemblement national a repris les mêmes dispositions que celles prévues en 2024 : le rétablissement du délit de séjour irrégulier, assorti d’une amende de 3 750 euros et d’une peine complémentaire d’interdiction du territoire français pendant trois ans.
III. Une mesure critiquée pour son risque de criminalisation des personnes en situation irrégulière
Si le gouvernement affiche une position favorable, le rétablissement du délit de séjour irrégulier suscite déjà de nombreuses critiques.
Certains défenseurs des droits humains y voient un retour en arrière, pointant le risque de criminalisation des personnes en situation irrégulière et une surcharge des tribunaux.
« Cette proposition de loi ne sert absolument à rien », a affirmé Florent Boudié, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale (Ensemble pour la République), ajoutant à l’adresse des députés du Rassemblement national : « Elle n'a aucune valeur autre que le symbole que vous voulez utiliser ». 4
Pour Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine), il s’agit d’une mesure « inutile, illégale et indigne ».
Prenant le contre-pied du RN, son collègue communiste et président du groupe GDR, Stéphane Peu, a quant à lui appelé à régulariser tous ceux qui travaillent et contribuent à faire fonctionner le pays, évoquant le souvenir de la crise sanitaire et des « salariés sans-papiers (…) morts du Covid sans protection ». 5
À cet égard, la Ligue des droits de l’Homme et plusieurs associations ont « condamné fermement cette volonté de stigmatiser et de criminaliser les étrangères et étrangers vivant sur notre territoire ». 6
Dans leur communiqué du 29 octobre, elles soulignaient le besoin de « progrès social, de mesures de justice sociale et fiscale ».
En somme, le retour du délit de séjour irrégulier représente une rupture avec la politique migratoire menée depuis plus de dix ans.
En 2012, cette disposition avait été abrogée pour éviter la pénalisation des sans-papiers et privilégier des mesures administratives comme l’expulsion.
Son rétablissement s’inscrit aujourd’hui dans un durcissement global des politiques migratoires, porté par une partie de la droite et soutenu par une frange de l’opinion publique.
1 CELINAIN Charly, « Le délit de séjour irrégulier refait surface à l'Assemblée nationale », Le Courrier de l’Atlas,
publié le 30/10/2025, en ligne
2 https://www.syndicat-magistrature.fr/documents/240/cjue-arret-2.pdf
3 Ibid p.1
4 « Rétablissement du délit de séjour irrégulier : le RN échoue à faire voter son texte après un débat tendu à
l'Assemblée », Soizic Bonvarlet, LCP Assemblée nationale, publié le 30/10/2025 à 19:00, mis à jour le 30/10/2025 à 19:17, en ligne
5 Ibid. p.3
6 Ibid. p.1
Sofian FERIANI - Avocat
Imane FATM - Stagiaire